La question de Bruxelles
Par M. Lievens le Jeudi, 04 Octobre 2007 PDF Imprimer Envoyer
1.La question nationale en Belgique ne peut pas être considérée comme ‘résolue’. S’il la bourgeoisie aurait résolu cette question avec la réforme de l’état telle qu’elle existante, nous devrions alors réviser fondamentalement notre marxisme ; la théorie de la révolution permanente et le rôle de la classe ouvrière dans la solution des questions démocratiques seraient à revoir.

2.La question n’est pas résolue, en gros pour deux raisons. D’abord elle ne peut être résolue si elle n’est pas résolue démocratiquement. Une structure étatique qui est créée sans la participation des masses, le ‘peuple’, est une structure étatique faible, qui continuera à générer des problèmes. Ce n’est pas parce que dans la deuxième moitié du 19e siècle un appareil d’état unifié existait en Allemagne ou en Italie, que ces pays étaient aussi véritablement unifiés. Ce n’est pas parce qu’il existe un appareil européen, que l’Europe est véritablement unifiée. Cela présuppose une implication réelle du peuple dans un processus constituant.

Ensuite, il y a la problématique de Bruxelles. Différentes crises profondes découlaient pendant la législature précédente de la constellation bruxelloise : l’aéroport et DHL, BHV… Bruxelles n’est pas le modèle, la solution du problème, mais fait partie du problème même. Elargir Bruxelles n’est pas une solution mais un élargissement du problème.

3.Il y a deux séries de problèmes avec les institutions à Bruxelles. En premier lieu, il y a les problèmes qui découlent du rôle des communautés à Bruxelles, via le soi-disant fédéralisme personnel. En deuxième lieu, il y a les problèmes qui sont liés au statut de région (avec des compétences régionales sur le niveau de l’économie, mobilité, infrastructure…)

4.L’idée du fédéralisme personnel est en soi une idée noble, qui donne une liberté de choix aux gens qui habitent le territoire bilingue, afin de se diriger aux institutions qui appartiennent à leur propre groupe linguistique (surtout sur le plan de la culture, enseignement etc.). Ce système a néanmoins déclenché une série de mécanismes qui expliquent une partie de l’impasse actuelle.

En premier lieu, Bruxelles devient le terrain d’une compétition et même d’une guerre de positions entre les deux communautés. Il est bien connu que la communauté flamande, qui dispose de beaucoup d’argent, est très active à Bruxelles sur le terrain culturel, et mène une politique d’achat de bâtiments assez intensive avant les yeux des francophones, et a lancé toute une série de projets culturels prestigieux. La communauté francophone ne dispose pas des moyens pour jouer ce jeu compétitif. En général, on voit des formes de guerre de position à Bruxelles et dans la périphérie, dans laquelle les deux communautés défendent ‘leurs’ gens. Les bruxellois néerlandophones, ce sont ‘les nôtres’ pour la communauté flamande. La même chose vaut pour les francophones dans la périphérie pour la communauté francophone. De cette façon, quelque chose est installée qui ressemble au droit du sang, sur lequel se basent les institutions dans leur tentative d’occuper du terrain hors de leur propre territoire unilingue, s’appuyant chaque fois sur leur ‘avant-garde’.

Ainsi, les bruxellois sont poussés dans une logique de confrontation entre communautés, entre camps qui se font face, avec l’appui chaque fois de ‘leur’ communauté. Pour la gauche, qui, sans niant la question nationale, essaye d’accentuer d’autres contradictions politiques que celle-ci, cette situation est problématique. La classe est divisée de fait, dans différents groupes linguistiques, mais la logique bicommunautaire rend cette division encore plus aiguë. Le défi pour la gauche consiste en la tentative de faire des propositions qui vont à l’encontre de cette logique.

Ce qui est très significatif sur ce plan, est la thèse très répandue selon laquelle il y aurait 85 % de francophones à Bruxelles, et 15 % néerlandophones. Cette idée fausse est une conséquence idéologique de la logique bicommunautaire. En fait, aucun groupe linguistique à Bruxelles a une majorité. La majorité de bruxellois a une autre langue que le français comme première langue (turc, arabe, néerlandais…). La situation du français à bruxelles est de plus en plus celle de l’anglais au niveau international : il est devenu la lingue franca, la langue que des gens de différents groupes linguistiques utilisent lors de rencontres. Cette réalité est nié surtout du côté francophone, où on fait comme si tout le monde est francophone à Bruxelles (et, en effet, tout le monde y est effectivement francophone, comme tous les néerlandophones, turcs etc. comprennent aussi le français). Cela conduit surtout dans le camp flamand à des crispations, avec les conséquences qu’on connaît. La logique bicommunautaire méconnaît par conséquent la réalité multiculturelle et multilingue à Bruxelles. Et cette méconnaissance est à son tour un obstacle au développement d’une pratique véritablement multilingue et interculturelle.

Légalement, le néerlandais est reconnu dans les institutions (même si les lois linguistiques ne sont pas toujours appliquées correctement). Mais cela ne vaut pas pour les autres langues qui sont parlées à Bruxelles. La méconnaissance de la place spécifique du français comme lingua franca freine surtout le développement d’une pratique multilingue, aussi en dehors des institutions. Lors de rencontres entre néerlandophones (ou turcs, arabes etc.) et francophones à bruxelles, on parle systématiquement le français. Cela est un donné structurel dans le contexte belge, dont le caractère problématique ne peut pas être négligé. Il s’agit d’une réalité qui fait obstacle à toute tentative de trouver des rapports plus égalitaires et symétriques entre les communautés. Et qui renforce l’impasse auquel aboutit la logique des camps des deux communautés.

5.Dans ce contexte, l’élargissement de Bruxelles est seulement l’élargissement de ce problème. Autant que cette logique de camps continue, et une pratique réelle de multilinguisme et interculturalité à pied d’égalité manque, on ne peut pas toucher à la frontière linguistique. Les pratiques dans la périphérie de Bruxelles s’inscrivent clairement dans cette logique de camps : la communauté francophone qui défend ‘ses’ gens dans la périphérie, des rapports égalitaires de multilinguismes qui manquent… Il y a une asymétrie énorme qui cause un attitude intransigeant dans le camp flamand : des néerlandophones qui habitent en Wallonie, ne s’organisent pas en ‘fronts néerlandophones’ pour défendre leurs intérêts linguistiques et pour œuvrer à l’attachement de leur commune à la région bilingue. 

En même temps, la gauche, si elle veut faire une contribution pour surmonter la logique de camps et cherche un rapport plus égalitaire entre les communautés linguistiques, ne peut pas maintenir la frontière linguistique comme elle est actuellement. Elle ne peut pas être déplacée géographiquement dans le contexte actuel, mais elle peut être démocratisée.

La revendication de la démocratisation des frontières est une revendication fondamentale dans un contexte de migration. Elle implique le droit du sol (ius solis) : tout le monde qui se trouve sur le territoire, doit recevoir tout les droits civiques, y inclus les droits culturels pour les minorités. Cela est opposé au droit du sang (ius sanguinis) : seulement ceux qui appartiennent au propre peuple (cad ceux qui ont la nationalité correcte), reçoivent ces droits. L’idée que la migration est une base suffisante pour changer des frontières linguistiques ou étatiques (comme est exigé maintenant à Bruxelles), ressemble au droit du sang.

Supprimer les frontières est impossible : une démocratie a toujours besoin de frontières, afin de déterminer qui est citoyen et qui ne l’est pas (qui peut voter et qui non). Le critère le plus démocratique pour l’organisation des frontières est le droit du sol. Sous ce drapeau aussi la tentative de créer une Flandre ‘homogène’ doit être combattue. L’identité (linguistique) ne peut être la base de la citoyenneté. Citoyen est celui qui se trouve sur le territoire.

Aujourd’hui, la citoyenneté continue à être liée à la nationalité, même si la pression pour la démocratisation de la frontière devient très grande : en Belgique, les immigrés ne recevaient pas simplement tous les droits citoyens, mais on introduisait une procédure pour obtenir très vite la nationalité belge. Ainsi on pouvait continuer à lier la citoyenneté à la nationalité au lieu du sol.

La gauche doit se battre afin de délier la citoyenneté de la nationalité : le seul critère pour obtenir les droits citoyens est le séjour sur le territoire. Cela ne vaut pas seulement pour les immigrés qui viennent de l’extérieur, mais aussi pour la réalité autour de Bruxelles. Il faut aller à une situation où les communautés à Bruxelles ne défendent plus leurs droits sur base de la logique bicommunautaire, appuyées par la Flandre ou la Wallonie. Au contraire, on doit essayer de réaliser une Bruxelles véritablement multilingue et interculturelle, dans laquelle toutes les communautés et groupes linguistiques déduisent leurs droits du fait qu’ils habitent un territoire multilingue (et pas seulement bilingue), et que, grâce au droit du sol, ils ont aussi une série de droits culturels et linguistiques.

Dans la pratique, il faut bien sûr un nombre de règles pour concrétiser cela : quand un groupe représente tel pourcentage de la population par exemple, il a droit à l’enseignement dans sa propre langue (pour partie) etcetera. Pour la réalisation concrète de cette conception, il faut un débat démocratique.

La même chose peut valoir pour la périphérie bruxelloise. Qui vient habiter sur ce territoire, doit avoir tous les droits, y inclus les droits culturels et linguistique pour les minorités. Aussi des cours de langue gratuits ressortent ci-dessous, afin d’arriver à une réelle pratique de multilinguisme sur pied d’égalité. Pas d’élargissement du territoire bilingue (qu’on veut transformer en territoire multilingue) sans pratique réelle et égalitaire de multilinguisme.

6.Dans toute cette discussion, il faut bien clarifier quel est le contexte des propositions qu’on fait : les institutions étatiques actuelles capitaliste, ou le socialisme. Le débat qu’on doit mener aujourd’hui et auquel essaye de contribuer ce texte, porte sur la question comment on peut actuellement, au sein de l’état capitaliste, œuvrer vers des rapports plus égalitaires entre une multiplicité de groupes linguistiques et culturels.

Comment seront façonnées les institutions dans une société socialiste, est une question différente, dans laquelle il est difficile de faire des prévisions. Le socialisme ne pourra se réaliser en Europe et certainement en Belgique que par un mouvement de classe interculturel et multilingue. Celui-là formera des institutions qui ne tiendront peut-être plus du tout compte d’éléments linguistiques ou culturels, parce que à ce moment-là les rapports entre les langues et les cultures au sein de la classe ouvrière seront déjà tellement égalitaires et non-problématiques qu’ils n’aboutissent plus à des conflits et de crispations comme aujourd’hui (il n’y aura pas de mouvement révolutionnaire s’il n’a pas déjà résolu le problème en son sein). Afin de construire un tel mouvement il faut faire des pas dans le présent vers de tels rapports plus égalitaires. On ne le fera pas en transférant les rapports asymétriques bruxelloises à un territoire encore plus large.

7.L’impasse de la logique bicommunautaire est une question, les problèmes économiques de Bruxelles en sont une autre. Ces problèmes se situent à un autre niveau : pas celui de la logique bicommunautaire du territoire bilingue de Bruxelles, mais celui de Bruxelles comme région. Le fait que la Bruxelles des 19 communes est devenu une région en soi, est une situation totalement absurde (la présence historique de la bourgeoisie belge à Bruxelles explique sans doute partiellement cette réalité). Une région a en effet une série de compétences territoriale sur le plan de l’économie, l’infrastructure, mobilité. Mais le territoire bruxellois est beaucoup trop petit pour vraiment prendre en main ces questions. Il y a donc deux possibilités : ou bien l’élargissement de la région bruxelloise à l’étendue réelle de l’espace économique bruxellois (mais cela devient difficile, comme il faudrait alors introduire un autre niveau entre la Flandre/Belgique et le territoire bilingue de Bruxelles), ou le transfert des compétences régionales de Bruxelles au niveau fédéral ou flamand (le tissu économique bruxellois est fondamentalement lié à celui de la Flandre).

Le mouvement ouvrier pourrait préconiser un tel transfert de compétences et une politique qui fait vraiment face aux problèmes sociaux de la bruxelles actuelle (investissement publics etc.). Mais la problématique de la région bruxelloise doit être vu séparément de celle du territoire bilingue (cf. ci-dessus).

Voir ci-dessus