Pourquoi devrions-nous soutenir l'autorité palestinienne?
Par Michel Warschawski le Mercredi, 20 Février 2008 PDF Imprimer Envoyer

Le moment est venu de qualifier la situation par son véritable nom : une domination néocoloniale via une administration autochtone mandatée de collaborateurs. Le samedi 12 janvier, les forces de police palestiniennes agressaient violemment les manifestants qui protestaient pacifiquement contre la venue du président US, George W. Bush, à Ramallah.

Parmi les manifestations qui furent molestés, il y eut plusieurs membres importants de l’OLP (organisation de libération de la Palestine). Le fait que le président américain n’ait pas été bien accueilli par la société palestinienne ne devrait pas surprendre : depuis des années, Bush se comporte en ennemi, soutenant les initiatives israéliennes les plus agressives et s’opposant ouvertement à l’application du droit international concernant l’illégitimité de l’occupation et de la colonisation israéliennes. Pour Bush, la Palestine appartient à l’axe du mal et doit être traitée en conséquence.

L’incident de Ramallah ne constitue pas la première réaction violente contre les manifestants pacifiques contestant la politique de leur direction, mais il révèle un tournant qualitatif dans la position politique de l’Autorité palestinienne (AP).

Depuis les accords d’Oslo, l’AP, sous la direction de Yasser Arafat, a combiné la poursuite du combat de libération nationale avec une politique de compromis avec l’occupation israélienne. Ces compromis ont souvent soulevé une opposition populaire mais n’ont jamais été perçus comme une trahison à l’égard du combat national. Les initiatives diplomatiques de la direction de l’OLP n’ont pas toujours reçu un soutien unanime, mais elles étaient considérées comme s’inscrivant dans l’aspiration nationale à la liberté et à un Etat. A l’instar de la direction politique de l’AP, les forces de police palestiniennes étaient composées d’anciens combattants de la libération et considéraient leur mission comme le prolongement du combat pour libérer le peuple palestinien de l’occupation israélienne.

Le gouvernement et l’administration palestiniens sont aujourd’hui des outils américano-israéliens

La mort suspecte de Yasser Arafat et son remplacement par Mahmoud Abbas (Abu Mazen) marquent la fin de tout un chapitre de l’histoire du mouvement de libération palestinien et une autonomisation de l’Autorité palestinenne par rapport à l’OLP. Depuis le limogeage du gouvernement d’unité nationale palestinien et la séparation forcée de la Cisjordanie et de la bande de Gaza - les deux menés sous les encouragements américains - l’Autorité palestinienne n’est plus l’expression ni de l’OLP, ni du choix démocratique de la population palestinienne.

Aussi dur que cela puisse paraître, le gouvernement et l’administration palestiniens sont aujourd’hui des outils américano-israéliens, dépourvus de toute légitimité palestinienne - sauf Mahmoud Abbas qui est un président élu -, un évènement qui ne se reproduira plus.

Ce changement qualitatif affecte chaque niveau de l’Autorité palestinienne : le Premier ministre, Salam Fayyad, a été imposé par l’administration US, directement depuis le Fonds monétaire internationale (FMI) ; il n’a jamais été membre du Fatah et son premier geste a été de licencier des milliers de militants de l’OLP de l’administration de l’AP, les remplaçant par des technocrates qui n’avaient aucun passé dans le mouvement national. Sous la direction du général US, Keith Dayton, qui est devenu le gouverneur américain de Ramallah, sa première mission consiste à « reconstruire » une police palestinienne forte, après avoir obligé la vieille garde à démissionner.

Ces nouvelles forces de police ont été formées en Egypte et n’ont aucun lien avec les vieilles organisations nationales de guérilla ; elles sont composées de mercenaires sans conscience ni tradition nationales, prêts à exécuter n’importe quel ordre venant de leurs supérieurs.

Il y a quelques semaines, la télévision israélienne a diffusé un reportage sur les nouvelles forces de police palestiniennes. Dans la première partie, on montrait des stagiaires en train d’apprendre.. . l’hébreu (« pour pouvoir communiquer avec leurs collèges israéliens », nous a expliqué l’un d’entre eux) ; dans la seconde partie, on les montrait en action, s’en prenant violemment à un membre supposé du Hamas, gérant d’une librairie ; dans la troisième, on voyait l’ « interrogatoire » du vieux libraire, imitation pathétique d’un interrogatoire de l’ISS (services de sécurité israéliens). Pas étonnant qu’avec un tel programme, le journaliste israélien se soit montré très complaisant avec la police palestinienne rénovée.

Le moment est venu de qualifier la situation par son véritable nom : une domination néocoloniale via une administration autochtone mandatée de collaborateurs, qui reçoit ses ordres et son armement de Washington et de Tel Aviv.

Quand le regretté Edward Saïd a appelé Yasser Arafat, « Pétain », et l’Autorité palestinienne, des « collaborateurs », j’ai eu un long entretien avec lui, et je pense l’avoir convaincu que ces définitions n’étaient pas pertinentes. Le refus d’Arafat de se plier au diktat de Barak à Camp David et son emprisonnement dans la Moquata ont confirmé qu’il n’était pas un Pétain. Malheureusement, ce qui n’était pas vrai pour Yasser Arafat l’est aujourd’hui pour la nouvelle direction palestinienne, devenue un instrument au service de l’occupation/colonisation israéliennes, n’ayant plus aucun compte à rendre au peuple palestinien et à ses organisations nationales.

Changement de stratégie

C’est en effet un tournant capital et cela devrait être une préoccupation majeure de la société civile palestinienne et des mouvements nationaux. Les stratégies d’hier ne sont plus pertinentes : la situation politique ressemble de moins en moins à celle de l’ « Algérie » et de plus en plus à celle de l’ « Afrique du Sud », et pour les années à venir, le principal défi va être d’adapter les objectifs politiques et le calendrier à cette nouvelle réalité.

Michel Warschawski est journaliste et fondateur du Centre d’information alternative (AIC) à Jérusalem. Parmi ses livres : Sur la frontière (Stock - 2002), A tombeau ouvert - la crise de la société israélienne (La Fabrique - 2003), A contre chœur (Textuel - 2003).

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