Résolution sur le mouvement syndical
Par LCR le Samedi, 20 Mai 2006

Thèses adoptées par le XVe Congrès national du POS, avril 2006

a) Un constat de crise

1) La crise du mouvement syndical est très profonde et fait partie d'une crise de société plus large. La crise actuelle du syndicalisme belge ne réside pas dans une perte d'effectifs ou de représentativité. A la différence d'autres pays européens, nous n'avons pas connu de phénomène massif de désyndicalisation. La classe ouvrière reste numériquement forte, massivement organisée et encadrée dans ses organisations syndicales (plus de 3 millions de membres, soit 75% de la population active) et la bourgeoisie est malgré tout obligée d'en tenir compte d'agir avec une relative prudence.

2) Mais, si le nombre de syndiqués et le poids du syndicalisme dans la société demeure élevé, il reste qu'il existe un gouffre de plus en plus béant entre la puissance de ce mouvement syndical, dont la force s'exprime périodiquement dans des luttes importantes, et son impuissance à faire échec aux politiques d'austérité néolibérale, au chômage de masse, aux inégalités croissantes, à la dégradation continue des conditions de travail et à affronter les défis de notre époque. Du fait de cette incapacité à empêcher la régression sociale et à représenter, comme il le fut par le passé, un moteur dynamique du progrès social, le mouvement syndical perd de sa légitimité et n'apparaît plus comme porteur d'une alternative de société, d'un contre-pouvoir. Il n'incarne plus la demande de répartition démocratique de la richesse sociale en fonction des besoins prioritaires et perd de sa place propre dans la société et de sa substance.

3) Si les organisations syndicales demeurent le principal instrument d'organisation et de lutte des travailleurs/euses, leur représentativité de l'ensemble de ces derniers est devenue problématique en ce sens qu'elles ne prennent pas suffisamment en compte - à la fois dans leur composition mais également dans leurs pratiques et revendications - l'émergence de nouvelles couches " périphériques " de salarié/es : travailleurs/euses précaires, flexibles, d'origine étrangère, sans papiers, etc, sans parler de leur absence de volonté d'organiser la masse des travailleurs/euses sans emploi. Face à l'organisation néolibérale de la production capitaliste (entreprises en réseaux, sous-traitance, intérims, flux tendus), les organisations syndicales restent trop souvent cantonnées à la seule défense du " noyau dur " salarié par entreprise.

4) L'origine de cette crise du mouvement syndical est double, il s'agit à la fois de phénomènes objectifs et " extérieurs " au mouvement ouvrier d'une part, et d'une crise interne, une crise d'orientation stratégique profonde. Cette double crise nécessite une réorganisation d'ensemble de son identité, de ses structures et de son programme. La question ouverte est quelle sera l'orientation que prendra cette nécessaire réorganisation.

b) Causes objectives à la crise du mouvement ouvrier

5) Si la classe ouvrière (salariée) reste plus que jamais majoritaire, elle a néanmoins également connu des modifications importantes dans sa composition : féminisation de l'emploi, tertiarisation, etc. Du fait des restructurations industrielles, on a assisté à un affaiblissement notable, voire à la disparition pure et simple de pans entiers de la classe ouvrière industrielle où 500.000 emplois ont disparus en 30 ans. Des secteurs (mineurs, sidérurgistes) qui comptaient parmi les plus combatifs de notre mouvement ouvrier.

6) Depuis 30 ans, l'onde longue récessive capitaliste pèse de tout son poids sur la classe salariée : au chômage massif s'est ajouté la précarisation de l'emploi comme facteur négatif pesant sur l'unité de classe, les niveaux conscience et la capacité de mobilisation des salariés (sources de divisions hommes-femmes, jeunes-vieux, belges-immigrés, flamands-francophones).

7) La mondialisation capitaliste, les nouvelles formes d'organisation de la production et les politiques néolibérales visant à modifier en profondeur le " marché du travail " ont profondément sapé les bases objectives du syndicalisme. Les travailleurs/euses sont fragmenté/es et atomisé/es par l'introduction massive des emplois précaires, par la multiplication des statuts (intérimaires, temps partiels, contrats à durée déterminée) et le développement de la flexibilité qui fragilisent les solidarités de classe. Ils sont dispersés par le développement de l'entreprise " en réseau ", par la sous-traitance, par l'individualisation du rapport salarial, par la concurrence acharnée et la mobilité imposée entre les travailleurs par les nouvelles pratiques managériales dictées par le marché.

8) L'offensive néolibérale a également comme conséquence de changer le type de rapports de propriété capitaliste. Le capitalisme belge a toujours été un capitalisme " de référence " ; il reposait sur trois types de propriété capitaliste de référence que l'on pouvait clairement définir et viser: 1) les entreprises familiales, 2) les grands monopoles (essentiellement des filiales de grandes multinationales étrangères), 3) les holdings. La financiarisation de l'économie, qui est la conséquence des politiques néolibérale, change lentement ces rapports de propriété, et joue également sur les rapports de force.

9) Avec beaucoup de retard par rapport à des pays comme la Grande-Bretagne, la propriété boursière des entreprises capitalistes avance à pas lents mais sûrs. L'actionnariat boursier est beaucoup plus fluide, flexible, mobile que la propriété capitaliste d'une entreprise familiale par exemple. Ces nouveaux rapports changent le rôle du management (plus autonome, et donc mieux rémunéré afin qu'il s'aligne sur les intérêts des actionnaires), sur la stratégie des entreprises (plus agressive, pratiquant la concurrence " sauvage ", plus orientée vers des fusions-acquisitions etc.). La conséquence en est une pression accrue sur les travailleurs, leur rendement, leurs salaires et conditions de travail, la multiplication continue des restructurations, les licenciements boursiers.

10) La concurrence que les grandes multinationales imposent entre leurs différentes filiales rend donc encore plus difficile l'unité de classe, au niveau national et international. Ces multinationales décident d'attribuer la production d'un nouveau produit ou d'un modèle selon les conditions salariales, la flexibilités des filiales, dont la survie même dépend de leur capacité à recevoir des nouvelles tâche de l'entreprise-mère. De cette façon, les directions des multinationales tentent d'associer étroitement les syndicats avec la direction des filiales, pour qu'elles cogèrent, au nom du " maintien de l'emploi " la co-responsabilité de la spirale vers le bas des conditions de travail.

11) L'offensive néolibérale et la construction européenne ont également fortement réduit les marges pour une politique nationale autonome et les points d'appui institutionnels (législation sociale, mécanismes de concertation sociale, démocratie politique) pour le mouvement ouvrier. De plus, en Belgique, la crise de l'Etat national n'est pas seulement impulsée par " en haut " ; par la mondialisation et la construction européenne, elle passe aussi " par en bas ", par la communautarisation croissante. Malgré l'éventuelle légitimité de tel ou tel point, la " question communautaire " dans son ensemble est utilisée par la bourgeoisie comme un instrument afin de briser l'unité du mouvement ouvrier. Ainsi, les verrous politiques et institutionnels sur lesquels le mouvement ouvrier s'appuyait pour endiguer la domination absolue du capital sautent l'un après l'autre.

12) La politique de modération salariale en vue de " sauvegarder la compétitivité " d'une part et les critères de convergence et de stabilité d'autre part visant à " assainir " les dépenses publiques sont les seuls leviers dont les gouvernements nationaux disposent. Au plus l'UE se renforce, au plus les marges pour mener une action syndicale indépendante se réduit. Les normes de convergence du Traité de Maastricht ont mis les budgets publics sous pression et dans un carcan. Puisque l'UE a été définie comme une " économie de marché ouverte où la concurrence est libre ", cette libre concurrence enchaîne le syndicalisme à la norme salariale, à la contrainte à la compétitivité, à la flexibilité, etc.

13) Le mouvement ouvrier, la FGTB surtout, de par son identité historique, a également indirectement subi le contre-coup de la crise de la perspective socialiste suite à la chute du mur et à la disparition des sociétés bureaucratiques. A cela s'est ajouté la dégradation des rapports de forces et les défaites d'ampleur ou partielles répétées.

c) Une crise d'orientation qui vient de loin

14) Historiquement, notre mouvement syndical s'est modelé pendant la longue expansion économique de l'après-guerre. Ce modèle s'appuyait sur trois piliers : 1) l'organisation syndicale avait une place propre dans les entreprises et dans la société, 2) son organisation et son agenda propre, s'appuyant sur la massivité de son enracinement social dans les entreprises, et 3) elle co-gérait le progrès social à travers la concertation sociale et participait à la traduction de tout cela en législation sociale en s'appuyant sur les " amis politiques " (social-démocratie pour la FGTB et chrétiens-démocrates pour la CSC) au gouvernement.

15) La tradition en partie incarnée par André Renard a profondément marqué certains secteurs de la FGTB pendant une longue période, avec l'héritage des luttes de la Résistance, de la Question royale et avec comme point culminant la grande grève de 60-61. Une tradition caractérisée par une forte identité de classe, par l'action directe et par l'indépendance politique (" le syndicalisme pur ") qui continue encore à laisser des traces. Mais ce courant n'a pas pu s'imposer du fait de l'échec de la grève de 60-61 et de l'application de son programme de réformes de structure anticapitalistes. Ce sont les ailes cogestionnaires social-démocrates (le " syndicalisme cogestionnaire classique ") qui ont prédominé et ont donné sa forme hégémonique au mouvement syndical.

16) Avec le début de la crise économique au milieu des années '70 à laquelle la bourgeoisie a répondu par une offensive d'austérité, les vieilles approches syndicales ont commencé à se révéler en partie inopérationnelles. Le premier choc d'ampleur a eu lieu après 1982, face à une offensive d'austérité brutale. Dans ces années de montée des luttes (6 grèves générales entre 1982-1986), l'option oppositionnelle portée par la FGTB reposait entièrement sur la stratégie du " réformisme oppositionnel " de la FGTB menée par Debunne ; un pied dans le système et un pied dehors, en équilibre précaire entre intégration au système capitaliste et autonomie syndicale au niveau de l'idéologie et de l'action. Politiquement, cette stratégie visait à porter la social-démocratie au gouvernement dans l'espoir d'inverser le cours des choses.

17) La constitution d'un gouvernement social-démocrate/chrétien-démocrate (1988) a pour un temps bénéficié de l'embellie économique des années 1989-1991. L'illusion a duré jusqu'au Plan Global en 1993 où, dans le contexte des diktats imposés par le Traité de Maastricht et d'une nouvelle récession économique, la social-démocratie a clairement capitulé devant les lois du néolibéralisme. Les ministres socialistes se sont ouvertement tournés contre les travailleurs en lutte. Le mouvement syndical n'avait plus " d'amis politiques ", le mécanisme classique du " syndicalisme cogestionnaire traditionnel " ne fonctionnait plus. Mais si la rupture ne semblait pas exclue, le front commun est malgré tout resté prisonnier d'un horizon stratégique qui ne va pas plus loin que la défense des coalitions rouge-romaine face aux libéraux et a sciemment organisé " l'atterissage en douceur " du mouvement et sa défaite.

18) L'échec de la lutte contre le plan global a constitué un tournant. Il a été le signal de l'accélération d'une crise qui couvait depuis des années, un point de rupture qui a déstabilisé la FGTB et déclenché l'offensive rampante d'un nouveau courant " modernisateur " qui se s'est appuyé sur cet échec. Dans la FGTB, deux réponses se sont dessiné.

19) D'une part, les dirigeants syndicaux qui s'accrochaient à la vieille réthorique en pratiquant un radicalisme essentiellement verbal alors que leur pratique est celle de la cogestion pragmatique traditionnelle, au besoin par l'appel à des formes de mobilisations contrôlées et sans lendemain (" chauffer-refroidir "). D'autre part, sous la pression du néolibéralisme, certains ont commencé à plaider pour une révision en profondeur de l'idéologie et de la pratique syndicale, pour une " modernisation " approfondie. Ce courant ne croit plus à un syndicalisme de masse indépendant. Selon lui, le syndicat doit s'adapter à une cogestion plus poussée, il ne doit plus compter sur la force de la mobilisation de masse, mais se faire reconnaître par les patrons comme un partenaire loyal et utile. Bref, selon lui, il faut mettre les deux pieds dans le système. Pour ce faire, il fallait sacrifier une bonne partie de l'autonomie syndicale afin de transformer les syndicats en des instruments passifs de transmission des objectifs socio-économiques de la bourgeoisie vers les travailleurs. Malheureusement, il n'y a pas eu de troisième voix, celle d'une gauche syndicale en tant que courant organisé.

d) Le virage à droite des sommets syndicaux

20) Ce " syndicalisme cogestionnaire moderne " a été le mieux incarné par Willy Peirens à la CSC et Mia De Vits à la FGTB. Avec l'ascension progressive de cette dernière au sommet du syndicat socialiste, il s'est peu à peu imposé, impulsant ainsi un virage à droite du mouvement syndical vers une ligne d'accompagnement des " mutations du capitalisme " et d'abandon du " réformisme oppositionnel " de Debunne. Si ce virage a affecté plus directement la FGTB (du fait de ses origines et de son identité), il a également indirectement affecté la CSC dont la tendance à la cogestion a toujours été dominante au niveau de sa direction. Avec la signature de l'accord interprofessionnel en 1999, le courant " chauffer-refroidir " a été vaincu et le courant " modernisateur " s'est retrouvé seul maître à bord.

21) Ce virage droitier s'est clairement exprimé dans l'adhésion des organisations syndicales à la construction européenne. Dans la période 1995-2001, les directions FGTB et CSC ont avant tout misé sur le fait que leur collaboration était indispensable pour assurer la stabilité dans le cadre l'Union économique et Monétaire. Le passage à l'euro et la stabilisation de celui-ci étaient une phase délicate pour les bourgeoisies. Pour réussir, la stabilité sociale et politique était indispensable. Or les Etats nationaux sont affaiblis, et la légitimité des gouvernements contestée. La bourgeoisie avait donc besoin de la collaboration des syndicats.

22) Le marché était le suivant : les patrons et l'UE étaient prêts à préserver le système de concertation et la place des bureaucraties syndicales à la table des négociations ; en échange les organisations syndicales devaient cogérer la course à la flexibilité et à la compétitivité, ainsi que le dégraissage des systèmes de sécurité sociale. Les syndicats devaient servir d'intermédiaires entre les employeurs et les salariés pour faire respecter la paix sociale Les sommets interprofessionnels de la FGTB et de la CSC ont accepté ce marché de dupes. Ils ont estimé que l'intérêt du mouvement ouvrier européen coïncide avec la construction d'une Europe forte face aux autres blocs impérialistes et que la Belgique doit tâcher d'occuper la meilleure position possible au sein de cette UE en soutenant la capacité concurrentielle du patronat national en compétition avec les " partenaires commerciaux ". L'acceptation en 1996 du carcan de la " Loi sur la sauvegarde de la compétitivité ", qui instaure une norme salariale, a été une des conséquences de ce marché de dupes.

23) Du fait de cette orientation, pendant plusieurs années tout le potentiel d'un agenda social et démocratique a été gaspillé dans une multitude d'occasions ratées ou de mobilisations sans lendemain : la " Crise blanche " en 1996 ; la lutte pour la réduction du temps de travail et contre la réforme des pensions en 1997 ; la longue lutte de Clabecq et de Renault-Vilvoorde en 1997-98 ; la grande manifestation de 1998 pour l'augmentation des prestations sociales et pour la liaison au bien-être ; la lutte manquée pour les salaires et le pouvoir d'achat en 2000 (en pleine période de croissance 1999-2001) ; la mobilisation " pour le rattrapage social et le bien être pour tous " en 2001 ; la jonction manquée avec le mouvement alterglobaliste lors de la présidence belge de l'UE et la faillite de la Sabena en 2001-2002 ; la réforme du minimex en 2003 ; le Plan Vandenbrouck de chasse aux chômeurs et pour le " sommet social " gouvernemental de 2004 ; la lutte de Splintex et l'Accord interprofessionnel en 2004-2005 ; la Constitution européenne en 2005… ; sans oublier les luttes sectorielles et les privatisations ou libéralisations de facto ou rampantes de Belgacom, SNCB, du secteur de l'électricité, La Poste…

24) Dans ce cadre, il n'est pas étonnant que le développement du mouvement alterglobaliste a été vu en général d'un mauvais œil par les sommets syndicaux. D'abord et avant tout parce qu'ils cautionnaient la construction européenne néolibérale et considéraient la " mondialisation " comme un fait inéluctable. Ensuite, parce que la méfiance était grande envers un mouvement à l'image radicale, constitué d'ONG et de mouvements sociaux de tous types, dont la légitimité ou leur représentativité était souvent mise en question par eux par crainte que ces mouvements soient des " concurrents " dans l'encadrement de la contestation des travailleurs dont les syndicats ont le " monopole ".

25) Jusqu'en 2002 et leur participation aux Forums sociaux belge, européen et mondial, l'implication des syndicats dans le mouvement a été nulle, marginale, voire conflictuelle, une participation qui a finalement sans doute été facilitée par le caractère limité du mouvement alterglobaliste en Belgique même. Il faut toutefois souligner que dans le cadre de ces forums, l'implication de la CSC a toujours été plus importante et conséquente que celle de la FGTB du fait des traditions de solidarisme international du mouvement ouvrier chrétien.

26) Le " syndicalisme cogestionnaire moderne " était traversé par plusieurs contradictions: il n'avait pas de réponse au chômage et ses dirigeants se sont retrouvés coincés : d'une part ils avaient besoin du poids social du mouvement ouvrier pour convaincre les patrons de leur utilité comme partenaires, mais d'autre part ils avaient besoin de la passivité et de la démoralisation des travailleurs pour garder les mains libres. Ils ont tenté de s'en sortir en menant une politique cynique de division, par la surenchère verbale par exemple, pour pouvoir mettre la responsabilité des défaites sur le dos de l'autre organisation. Mais en l'absence de résultats concrets pour les travailleurs/euses, cela a fini par miner leur légitimité.

27) Il s'est également heurté à des contradictions internes à l'appareil syndical, qui ont fini par le mettre sur la touche : il a critiqué et tenté de remettre en question les structures syndicales traditionnelles (autonomie des centrales) mais en vidant encore plus de son contenu la démocratie syndicale et il a avivé les forces centrifuges et les tensions " communautaires " entre les ailes flamandes et francophones de la FGTB, mettant ainsi en péril l'unité de cette dernière.

28) Pour ce courant, le syndicalisme de combat, ou tout simplement le syndicalisme cogestionnaire " classique ", était bien évidemment un obstacle à éliminer. Lors de sa nomination à la présidence de la FGTB en 2002, Mia De Vits avait ouvertement appelé à la " normalisation " du syndicat, à " une lutte contre toutes les formes d'extrémisme politique ". Il s'est donc acharné, par une offensive bureaucratique, à briser toute opposition ou contestation interne et externe à l'appareil syndical (ceux de Clabecq, éviction par des méthodes peu reluisantes d'Albert Faust du SETCa-Bruxelles et d'Anne-Marie Appelmans de la FGTB-Bruxelles, CGSP-Enseignement d'Anvers…).

29) Le courant " modernisateur " s'est ainsi non seulement heurté aux meilleures traditions de notre mouvement ouvrier (autonomie du mouvement syndical vis à vis du système, compréhension élémentaire des contradictions de classe, défense des intérêts immédiats comme condition pour un syndicalisme de masse dans les entreprises), mais également aux positions d'un secteur important de la bureaucratie syndicale aux yeux duquel il a " été trop loin ". L'éviction de Thierry Nollet du SETCa-Bruxelles, le protégé de Mia De Vits, et le départ définitif de cette dernière pour le SP.a a marqué une défaite partielle de ce courant, qui a laissé et laisse encore de nombreuses traces, et ouvert une nouvelle crise de direction, d'orientation et de stratégie au sommet de la FGTB dont les conséquences se sont bien fait sentir au cours de la lutte contre le " Pacte de solidarité "

e) Un bilan de la lutte contre le Pacte de solidarité

30. Douze ans après la grève générale contre le Plan Global, la lutte contre le " Pacte de solidarité " a une fois de plus démontré que si la conjoncture est toujours largement défensive, les travailleurs restent capables de réagir périodiquement face aux attaques de la bourgeoisie et de lutter avec courage et détermination.

31. Tout comme la victoire du " non " à la Constitution en France, la lutte contre le " Pacte " a également été l'expression d'une perte de légitimité du pouvoir néolibéral, du clivage énorme qui existe entre ceux qui ont ce pouvoir pour diffuser et imposer une orientation et les larges masses qui doivent la subir. L'indignation contre la remise en cause du droit à la prépension a cristallisé et canalisé tout le mécontentement social existant autour de la modération salariale, de la perte de pouvoir d'achat, du chômage massif, des restructurations sans fin, des conditions de travail dégradées, du bradage des services publics.

32. Mais, cette mobilisation a malheureusement échoué, principalement du fait de la faiblesse des mots d'ordre syndicaux et de la stratégie des directions syndicales qui se sont refusées à traduire les revendications et les aspirations à la base en un vaste mouvement d'ensemble contre les politiques néolibérales.

33. Les éléments pour un tel mouvement étaient pourtant bel et bien présents dans ce combat au vu de la dynamique à l'œuvre, de son ampleur et de sa radicalité. La dynamique traditionnelle qui a longtemps marqué nos luttes syndicales a à nouveau été effective. D'une part, ne pouvant presque plus gagner ou empêcher les attaques au niveau des entreprises, les travailleurs s'engagent dans les luttes d'ensemble dès qu'elles se dessinent et les secteurs qui étaient isolés dans des luttes sectorielles repartent à l'action dans ce cadre. D'autre part : pression de la base et des délégations dans les entreprises sur les centrales qui communiquent cette pression au sommet, puis la FGTB met à son tour sous pression le sommet de la CSC lui-même interpellé par sa propre base.

34. Si, dans son ensemble, c'est bien la pression de la base et sa volonté de lutter qui a été déterminante en remontant progressivement dans les instances, il ne s'agit pas uniquement d'une dynamique de " débordement " des appareils. Dans plusieurs secteurs ce sont les cadres syndicaux intermédiaires qui ont joué un rôle déterminant puisque l'attaque contre les prépensions réduit leurs marges de manœuvres en cas de restructuration. Au niveau des sommets FGTB-CSC, face à un gouvernement qui impose de plus en plus ses plans, c'est également l'inquiétude de perdre leur place dans la " concertation sociale " qui a joué.

35. Cette lutte a également démontré que la direction de la FGTB reste plus sensible à la pression de sa base que la direction de la CSC qui, comme à l'époque de Houthouys dans les années '80 a clairement négocié avec le gouvernement dans le dos de la FGTB afin d'isoler cette dernière.

36. La grève du 7 octobre menée par la seule FGTB et une bonne partie de la base de la CSC avait touché tous les secteurs, au Nord comme au Sud. De nombreux piquets de grève n'avaient qu'une valeur symbolique tant le mot d'ordre de grève était massivement suivi. La manifestation du 28 octobre démontra également la profondeur du mouvement et les aspirations à la base à mener un vaste combat unitaire englobant non seulement la question des fins de carrières, mais aussi le pouvoir d'achat, l'emploi, les conditions de travail et la qualité de vie ou la défense des services publics.

37. C'est ce potentiel que se sont refusés à exploiter les sommets syndicaux FGTB, essentiellement de peur de mettre en difficulté une social-démocratie déjà mise à mal par ses scandales (logements sociaux, Francorchamps). Sans oublier la crainte instinctive des bureaucraties syndicales envers tout mouvement massif des travailleurs/euses pouvant les déborder et devenir incontôlable en favorisant, par sa dynamique propre, un processus de radicalisation et de politisation dont les signes embryonnaires ont bel et bien été visible dans ce cas-ci.

38. Les directions syndicales sont également restées coincées et victimes de leur profonde désorientation stratégique. Elles ont sciemment organisé " l'atterrissage en douceur " et la démobilisation du mouvement en refusant de développer une stratégie d'ensemble, à la fois en termes de plateforme et de stratégie d'action déterminée. En ne luttant plus pour le retrait du Pacte mais seulement pour son " aménagement ", elles ont purement et simplement capitulé en acceptant de s'inscrire dans le carcan du plan, à savoir l'allongement des carrières.

39. Malgré de nombreuses et vives critiques envers cette orientation au sein des organisations syndicales, aucune opposition syndicale capable de discuter et de disputer cette orientation aux appareils et de peser sur le cours des choses ne s'est cristallisée et structurée en groupes ou courants oppositionnels.

40. Cette désertion des sommets syndicaux en plein combat, outre la démoralisation et le marasme qu'elle suscite à la base, est évidemment interprété comme telle par la bourgeoisie et comme un signe de faiblesse extrême. Le patronat est à l'offensive et il compte bien garder l'initiative. C'est pourquoi il est immédiatement reparti à l'attaque sous couvert de " la sauvegarde de la compétitivité " afin de poursuivre le blocage salarial, voir même en allant jusqu'à la remise en cause de l'indexation des salaires.

41. La lutte contre le Pacte démontre une fois de plus qu'une poussée de combativité ne suffit pas, qu'il ne suffit pas de lutter pour gagner, mais qu'il est nécessaire d'avancer une plate-forme de revendications claires et un plan d'action mobilisateur et à la hauteur de cette combativité pour surmonter les obstacles et vaincre. Elle démontre également qu'un retour à la méthode du " chauffer-refroidir " ne mène, tout comme le courant " cogestionnaire moderne ", qu'à l'impasse et à la démoralisation.

f) Ligne syndicale

42. Les organisations syndicales demeurent des instruments indispensables et incontournables pour la défense des intérêts immédiats des salarié/es. Du fait de sa massivité et de ses traditions, le mouvement syndical belge, ou du moins des secteurs significatifs de ce dernier, doivent jouer une rôle déterminant dans toute tentative de recomposition à gauche, dans la construction d'une alternative politique anti-néolibérale et anticapitaliste conçue dans le sens historique d'un " parti de la classe " des travailleurs/euses, indépendant de la bourgeoisie et de son pouvoir politique.

43. La construction d'une gauche syndicale capable d'opérer dans ce sens et d'être un levier pour la convergence des luttes syndicales et des mouvements sociaux, à l'échelle nationale et internationale, reste plus que jamais notre perspective. Mais sa construction a accusé un énorme retard par rapport aux nécessités objectives. Des éléments d'une gauche syndicale existent dans les deux organisations syndicales. Mais la constitution d'un courant organisé n'a pas eu lieu pour de multiples raisons : cloisonnement interne, répression bureaucratique, surcharge militante, rivalités entre dirigeants, poids de la tradition du " syndicalisme pur ", la crainte qu'une polarisation interne n'affaiblirait encore plus les organisations syndicales (des syndicalistes qui se positionnent à gauche et en pointe dans les luttes s'inclinent ainsi en même temps devant la passivité de l'appareil interprofessionnel). Sans oublier la complexité de la situation belge.

44. Il faut malgré tout persévérer et tenter de progresser vers une gauche syndicale représentative à partir des différents points d'appui qui existent, à la base ou dans les appareils syndicaux, en prenant le temps de mettre en dialogue les éléments combatifs à tous les niveaux du syndicat. L'échange d'expériences et la confrontation d'analyses et la seule voie pour progresser vers une plateforme commune.

45. Dans notre intervention au sein du mouvement syndical, nous ne nous profilons pas comme un parti qui s'affronte à d'autres parti (PS, PTB) pour y " gagner l'hégémonie " mais bien comme une organisation marxiste révolutionnaire qui mène une activité de propagande et d'agitation qui avance la perspective d'une telle gauche syndicale et d'un parti des travailleurs à construire. Le mouvement ouvrier a besoin d'une alternative politique anticapitaliste à laquelle le POS veut contribuer avec nos atouts : une vision qui dépasse l'entreprise, le secteur, la région, les frontières linguistiques ou nationales. Si le POS ne représente pas ce nouveau parti, (ni " l'organisation politique de la gauche syndicale "), il veut en être un élément moteur et veut gagner à son programme les travailleurs/euses les plus conscient/es de ces nécessités.

46. Dans notre intervention syndicale, nous nous adressons et intervenons auprès des syndicats socialiste et chrétien et de leurs militants, sans exclusive. Si la direction nationale de la CSC est généralement plus à droite que celle de la FGTB, il n'en va pas de même dans plusieurs secteurs (non-marchand, distribution, etc.) où les cadres et les délégations du syndicat chrétien sont beaucoup plus combatives que leur homologues socialistes.

47. De plus, notre orientation d'une alternative politique à gauche s'adresse également aux adhérents du syndicat chrétien. Le Mouvement ouvrier chrétien, a été créé à la fin du 19ème siècle par l'église et le patronat catholique pour endiguer le danger socialiste. Après la 1ère guerre mondiale, l'idée d'une indépendance politique des travailleurs chrétiens devient de plus en plus populaire. En 1925, la fraction parlementaire des travailleurs chrétiens (les groupes démocratiques) forme même un gouvernement avec les socialistes, tandis que la bourgeoisie se trouve dans l'opposition. L'église et le patronat catholique réagissent en subordonnant le MOC dans un parti compact de " lutte contre le communisme". Cette subordination de la moitié de la classe des travailleurs en Belgique au plus grand parti bourgeois est sérieusement mise en cause en 1977 quand les Equipes populaires exigent un front politique de mouvements ouvriers socialiste et chrétien " pour le transformer en parti ouvrier le moment venu", un appel qui rencontrera un certain écho dans les années '80, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

48. Dans notre intervention dans les luttes syndicales, nous mettons systématiquement en avant l'unité des travailleurs/euses, à tous les niveaux (privé-publics, jeunes-vieux, flamands-francophones, belges-immigrés, FGTB-CSC) ; en partant des revendications immédiates des travailleurs ; nous avançons la nécessité d'une plate-forme de revendications unificatrices, de revendications transitoires anticapitalistes et la nécessité de porter ces dernières par des luttes d'ensemble, nationales et internationales qui ne peuvent définitivement aboutir que dans le cadre d'une alternative politique des travailleurs/euses eux-mêmes.

49. Face à l'échec du " syndicalisme cogestionnaire ", que ce soit sous sa forme " réformiste-oppositionnelle " ou " moderniste ", il faut impulser un changement de cap, une nouvelle orientation et une nouvelle stratégie pour l'ensemble du mouvement syndical. Bref, un autre syndicalisme est possible et nécessaire ! Pour ce faire, nous avançons une série de perspectives :

  • Une issue positive de la crise du syndicalisme belge n'est possible qu'en prenant comme point de départ la base de tout syndicalisme authentique ; l'organisation active de toutes les couches des salarié/s et des travailleurs/euses sans emploi à partir de leurs revendications et de leurs aspirations. Sur cette base, il faut rechercher l'unité la plus large possible ; au delà des frontières sectorielles, syndicales ou nationales.
  • Pour une lutte internationaliste à l'échelle européenne. Un véritable internationalisme qui appuie l'action syndicale sur les intérêts de tous les travailleurs/euses au delà des frontières est aujourd'hui la clé de voûte de tout véritable renouveau syndical.
  • Le syndicalisme doit sortir de sa position défensive. En se limitant à la stricte défense des acquis existant, on renforce l'image des syndicats que le patronat veut créer : " conservateur " et " archaïque ". Le mouvement ouvrier doit déterminer lui-même l'ordre du jour et le débat social.
  • La question communautaire va encore peser lourdement et sera utilisée de plus en plus par la bourgeoisie au détriment des intérêts des travailleurs/euses (scission de la sécu, régionalisation du marché du travail). Dans ce sens, il faut combattre les forces centrifuges de l'appareil syndical, en Flandre comme en Wallonie, qui tendent à communautariser le mouvement ouvrier.
  • Les organisations syndicales ont tenté de développer des réponses partielles aux nouveaux développements du capitalisme. Des efforts, qu'il faut souligner, même s'ils sont encore limités, ont récemment été menés par la FGTB, la CSC ou les deux organisations ensemble, notamment sur les questions du travail précaire, la syndicalisation des travailleurs/euses sans papiers, de l'écologie ou par la participation aux Forums sociaux belge, européen et mondial.
  • Il faut systématiser ces pratiques, renforcer ces convergences, de la base au sommet en systématisant les alliances avec les autres mouvements sociaux et l'ouverture aux questions de société en dehors de la sphère syndicale traditionnelle. La globalité de l'offensive néolibérale nécessite une réponse globale, qui lie la lutte immédiate pour les revendications à des alternatives à la crise profonde de la société capitaliste. En prenant la tête de la lutte contre le néolibéralisme, les organisations syndicales doivent redevenir porteuses d'un contre-pouvoir, d'un projet alternatif de société.
  • La lutte contre le Pacte de génération a également mis en lumière le fait que les organisations syndicales sont non seulement orphelines d'un prolongement politique, mais également d'un instrument médiatique de masse capable de présenter et de défendre le point de vue des salarié/es. Les organisations syndicales doivent donc prendre ce problème à bras le corps et développer, ensemble avec les autres mouvements sociaux, des instruments de communication propres et autonomes du marché capables de briser l'hégémonie médiatique néolibérale.
  • Les organisations syndicales doivent renouer avec leurs meilleures traditions de lutte tout en les actualisant aux défis d'aujourd'hui. Dans cette perspective, seul un syndicalisme de combat démocratique moderne est capable d'apporter une issue. L'offensive néolibérale a fortement réduit les points d'appui institutionnels (législation sociale, mécanismes de concertation sociale, démocratie politique) pour le mouvement ouvrier. Voilà pourquoi le syndicalisme doit plus que jamais s'appuyer sur l'engagement, la mobilisation et non la " concertation " qui ne mène qu'à l'impasse ou à la capitulation.
  • Plus que jamais, on a besoin d'un syndicalisme démocratique d'en bas, ce qui implique l'existence au sein du syndicat d'un véritable pluralisme d'idées et de propositions. Face à l'évolution du salariat, à sa fragmentation en divers statuts et sous-statuts, au sein de la même entreprise ou secteur, seule la démocratie la plus radicale, l'auto-organisation démocratique des luttes permet de rassembler tout le monde, de les impliquer tous dans le combat syndical. C'est pourquoi le syndicalisme doit s'intéresser à toute forme d'exploitation et d'oppression dont sont victimes les travailleurs, à tout développement dans la société qui menace leur bien être. La lutte pour l'emploi et les salaires doit aller de pair avec la lutte pour des conditions de travail humaines et un environnement viable, pour la qualité de vie, contre le racisme, l'exploitation des sans papiers et l'oppression des femmes, pour les droits démocratiques. Les syndicats doivent se saisir de chaque aspects de la crise de la société capitaliste pour le transformer en terrain d'activité et en levier pour gagner de nouvelles forces.

f) Mesure organisationnelle :

Le congrès décide la mise sur pied d'une Commission syndicale, ouverte à tous les membres afin d'y discuter de notre ligne syndicale et de l'activité syndicale de nos membres, d'échanger les expériences et de faire circuler l'information. La Direction Nationale désignera parmi elle un/e (ou des) responsables pour de l'animation de cette Commission.

Voir ci-dessus