(In)justice : Pinar Selek féministe emprisonnée à vie
Par Isabelle Muller le Jeudi, 14 Février 2013 PDF Imprimer Envoyer

Le 24 janvier, par deux voix contre une, la Cour de Justice d’Istanbul (Turquie) a condamné la sociologue féministe Pinar Selek à la prison à vie avec 36 ans de période de sûreté. Elle a par ailleurs délivré un mandat d’arrêt à son encontre car Pinar poursuit ses recherches désormais à Strasbourg.

Cette condamnation scandaleuse vient de loin  : Pinar Selek a été arrêtée une première fois en 1998. La police turque avait exigé alors qu’elle donne les noms des dizaines de militants kurdes qu’elle a interrogés dans le cadre de sa recherche. Elle avait refusé, a alors été accusée d’être membre du PKK puis plus tard d’être responsable d’un attentat (dont l’enquête révélera qu’il s’agit d’une fuite de gaz). Durant quinze ans, Pinar Selek a été persécutée sans interruption par la justice. Elle fut emprisonnée deux ans et demi puis libérée car enfin innocentée.

Acharnement d’État

Mais le pouvoir s’acharne à faire appel. Le 22 novembre dernier, la 12e cour criminelle d’Istanbul a annulé son propre acquittement pour vice de forme. La même peine a alors été requise  : la perpétuité pour un attentat qui n’a jamais existé... Pinar est le symbole de ce que l’État turc fait aux militants progressistes  : diffamés, pourchassés, emprisonnés, sans possibilité réelle de se défendre.

Un mouvement de solidarité s’est développé. Une délégation de militants strasbourgeois représentant entre autres des forces politiques (EÉLV, GU, NPA, PS, …) et des associations (ASTI, Attac, Cimade, La Lune, …) s’est rendue à Istanbul pour un rassemblement le 24 janvier à l’initiative du Collectif de soutien turc, avec plusieurs délégations d’autres pays. Au même moment, 200 personnes se retrouvaient en solidarité à l’université de Strasbourg. Depuis, les soutiens d’enseignants-chercheurs affluent. Le collectif strasbourgeois poursuit la mobilisation afin que la justice soit enfin respectée et que Pinar puisse, comme elle en a le souhait, retourner vivre libre et innocente à Istanbul.

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 181 (06/02/13)


 

Retour d’Istanbul : en solidarité avec la sociologue Pinar Selek

Par le collectif de solidarité avec Pinar Selek

La sociologue Pinar Selek a donc été condamnée le 24 janvier à la prison à perpétuité et un mandat d’arrêt est lancé contre elle en Turquie. Ses avocats ont bien sûr fait appel de ce verdict inique, qui entend conclure un procès marqué par d’innombrables violations de procédure. Au-delà de l’indignation et de la colère qu’il soulève chez les soutiens politiques, intellectuels, universitaires et militants qui, depuis des années, en Turquie et ailleurs, se mobilisent autour de Pinar Selek, ce verdict établit clairement le caractère politique de l’acharnement judiciaire dont elle est la cible depuis bientôt quinze ans. Arrêtée en 1998, accusée à tort d’avoir commis un attentat terroriste, acquittée à trois reprises sur la foi de rapports d’experts, Pinar Selek est en réalité poursuivie en raison des recherches qu’elle mène conformément à l’éthique universitaire et à ses convictions féministes et antimilitaristes. Son « tort », aux yeux de ses accusateurs, est d’avoir orienté son travail en direction des groupes sociaux opprimés, et en particulier d’avoir mené des enquêtes de terrain sur la situation vécue par les Kurdes. C’est cela qui lui vaut cette sentence révoltante d’injustice.
Au retour d’Istanbul, c’est d’abord à Pinar que nous pensons, à sa force, à son courage, à la nécessité de témoigner plus que jamais notre solidarité à cette femme qui prise si fort sa liberté.

Non, Pinar Selek n’est pas seule ! La soixantaine de personnes qui composaient les délégations allemande, italienne et française présentes à Istanbul le 24 janvier 2013 en a encore apporté la démonstration éclatante. Aujourd’hui, au retour, nous pensons aussi avec admiration et reconnaissance à toutes celles et ceux qui nous ont accueillis sur place avec tant de chaleur et d’amitié.

Nous tenons à saluer le travail remarquable accompli par la plate-forme turque « Nous sommes tous témoins ». Les féministes, les juristes, les militants des droits humains qu’elle rassemble ont tout mis en œuvre pour que nous puissions faire connaissance et échanger des informations. Souvent prévenus au dernier moment des arrivées des uns et des autres, ils ont réussi à tous nous héberger chez eux ou dans des maisons amies. Leurs juristes avaient réuni pour nous des renseignements indispensables, traduits en français et en anglais. Des interprètes bénévoles ont traduit les discussions lors des réunions organisées avant et après l’audience au local de l’association féministe Amargi. Grâce à leurs paroles à tous et à leur écoute, à leur confiance, à leurs attentions, Pinar a constamment été avec nous, à Istanbul.

Le jour de l’audience, ils nous ont laissé au tribunal une place inouïe qui a permis à l’ensemble des délégations étrangères d’assister au déroulement de l’audience.

Ils nous ont de fait laissé toute la place, pour qu’à notre tour nous témoignions de ce que nous avons vu et entendu ce jour-là. Ils nous ont encore fait une place immense lors des conférences de presse de la matinée et de la soirée, lors des rassemblements et de la manifestation spontanée qui a suivi le verdict.

Les contacts que nous avons noués, ensemble et individuellement, sont sûrement ce que nous ramenons de plus précieux d’Istanbul. Bien sûr, cela ne diminue en rien le choc de la sentence prononcée contre Pinar. Mais pour reprendre une image qui lui est chère, là-bas, pendant ces quelques jours, des chemins se sont croisés, des liens se sont tissés. Ces rencontres nous donnent la force et l’énergie de poursuivre, ici, la campagne engagée pour la liberté de Pinar Selek.

28 janvier 2013, le collectif de solidarité avec Pinar Selek

http://www.pinarselek.fr/

 

 

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