Le néolibéralisme bloqué?
Par M. Lievens le Samedi, 27 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Prédire des tournants historiques est risqué, et ce n’est pas ce que nous allons faire ici. Mais on ne peut pas échapper à ce constat : le capitalisme néolibéral s’est sérieusement mis dans le pétrin ces derniers temps. Et ce à différents niveaux : du fait de la crise institutionnelle en Belgique la politique néolibérale est bloquée de facto depuis un an et demi ; l’Europe en est encore à lécher les blessures du “non” irlandais ; sur le plan mondial les négociations sur la libéralisation du commerce mondial sont sérieusement dans l’impasse ; et last but not least une crise fait rage à Wall Street et largement autour. Remarquez que dans cette liste, à l’exception de l’effondrement de la « constitution européenne bis », toutes les crises sont les conséquences de contradictions internes du néolibéralisme, et moins de la résistance contre celui-ci. Il est temps que cela change.

Si la rupture récente du cartel CD&V-NVA changera beaucoup de choses, c’est l’avenir qui le dira, mais le fait que le néolibéralisme s’est bloqué de lui-même pendant toute l’année écoulée en Belgique est une évidence. La gauche radicale l'a sans cesse affirmé: la droite flamande a choisi la carte communautaire pour pouvoir mener en Flandre une politique néolibérale plus dure que celle qui est possible au niveau belge. C'est en partie exact, même si on ne peut pas réduire toute l’affaire à cela. Que la Belgique francophone soit beaucoup plus “à gauche”, comme cela est suggéré dans cette affirmation, mérite d'être nuancé. Il n’y a pas seulement le très néolibéral plan Marshall pour la Wallonie, défendu bec et ongles par le PS. Si le néolibéralisme a obtenu une grande victoire ces deux dernières années, cela peut être mis au compte... d’un francophone. Avec les intérêts notionnels, Didier Reynders a offert aux entreprises, et surtout aux Banques, un cadeau sans précédent depuis plusieurs années.

Austérité: mission impossible?

En tout les cas, le pari des partis flamands de droite (CD&V en tête) leur revient au visage comme un boomerang : la réforme de l’État est bloquée, et de ce fait tout le gouvernement est bloqué, y compris pour la politique socio-économique. En attendant, retentissent de plus en plus fort les cris de désespoir sur le soi-disant vieillissement galopant, et les occasions manquées de mettre de l’argent de côté pour y remédier. Après un an et demi, le déficit budgétaire atteint un niveau élevé. Pour atteindre l’objectif d’un surplus de 0,3% du PNB en 2009 (un chiffre qui a été mis en avant à la lumière du “vieillissement”), il faut trouver plus de 5 milliards d’euro. Comme l’écrit Jef Van Vuchelen, économiste de la VUB, dans le Knack du 17 septembre : “on ne peut pas trouver ces 5 milliards sans toucher à la sécurité sociale. Impossible”.

Aujourd'hui, le ministre-président flamand Kris Peeters a pris les rênes de la question communautaire afin que Leterme ait - en théorie - les mains libres dans un gouvernement fédéral qui se concentre sur les matières socio-économiques. Le gouvernement Leterme connaîtra-t-il les mêmes énormes difficultés pour imposer un plan d'austérité qu’il en a eu pour Bruxelles-Hal-Vilvorde ? Il se pourrait bien cette fois que les contradictions les plus fortes ne se trouvent pas au sein du gouvernement, mais à l’extérieur. Dans un contexte de crise du pouvoir d’achat, de hauts salaires pour les managers et de grands profits pour toute une série d’entreprises, le mouvement ouvrier ne peut pas ne pas réagir face à la volonté d'imooser de nouveaux « sacrifices » aux travailleurs.

AIP

Les organisations syndicales se préparent pour des négociations sur l'Accord interprofessionnel (AIP) 2009-2010 qui ne se dérouleront pas comme un long fleuve tranquile. La FGTB a déjà donné le ton avec l’annonce d'une journée actions pour le 6 octobre, rejointe par la CSC. Pas trop tôt ! Toutefois, on ne peut que constater les coups de frein à une action plus déterminée donnés par la CSC et la CGSLB, mais aussi au sein de la FGTB elle-même. Herwig Jorissen, président du syndicat des métallos pense que la journée d'actions du 6 octobre n'est pas une bonne idée. A-t-il oublié comment dans son propre secteur au début de cette année ce sont des actions de grèves qui, surtout dans le Limbourg, ont permis d'obtenir des succès notables, à de réelles augmentations de salaires ou à des primes salariales?

En tout les cas, il est de la plus haute importance que la mobilisation syndicale du 6 octobre soit une succès éclatant. La situation sociale actuelle mérite au moins une crise aussi importante que les querelles communautaires. Les dernières négociations sur l'AIP n’ont pas non plus été très calmes : il y a deux ans, la base de la FGTB avait rejeté l’accord et le gouvernement avait dû l’appliquer de sa propre initiative, contre le syndicat socialiste.

Pour qu’un accord soit possible entre syndicats et employeurs, les gouvernements doivent d’ailleurs souvent sortir de l’argent. Avec cet argent, le salaire net peut (un petit peu) augmenter et en même temps la charge salariale totale pour les employeurs peut diminuer. Avec l’actuel déficit budgétaire et la baisse de la croissance (cette année 1,6 %, l’année prochaine 1,2 %) cela devient tout sauf évident pour le gouvernement Leterme de dépanner la concertation sociale de cette manière. Les syndicats ne doivent donc pas compter sur ce non-gouvernement. Ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour empêcher que les travailleurs ne doivent payer les pots cassés de la crise institutionnelle et économique.

Sauver le climat ou sauver le capitalisme?

Et celui qui ne trouve pas la situation en Belgique assez scandaleuse et révoltante peut aller regarder ailleurs. Aux Etats-Unis, le ministre des finances Henry Paulson a mis sur la table un “plan de sauvetage” pour Wall Street de 700 milliards de dollars. Sept cents milliards! Rien que pour sauver le système financier. Pourtant, il y a bien d’autres systèmes qui, eux aussi, ont besoin d’êtres sauvés, encore plus urgemment. Pour mettre les choses en perspective : selon Nicholas Stern il faudrait à l’échelle mondiale 1.200 milliards de dollars par an pour limiter le réchauffement climatique à 2°C, ce qui est absolument nécessaire pour éviter le scénario catastrophe. Plus de la moitié de cette somme va maintenant aux capitalistes financiers des USA. C’est tout simplement criminel et crapuleux.

Le gouvernement US a clairement l’intention d’utiliser l’argent du contribuable pour mettre à l’abri des banques privées imprudentes et irrésponsables . Le plus haut intérêt du système est en effet en cause ! Comme il s'agit de 700 milliards d'argent public, si ce plan est mis en œuvre, ce sont les seuls travailleurs américains qui devront casquer pendant de nombreuses années.

Si une chose est claire, c’est que, pour la survie du capitalisme, on fait (provisoirement ?) une croix sur un certain nombre de dogmes du néolibéralisme. L’État est de retour et mobilise tous ses moyens pour mettre de l’ordre dans la situation catastrophique où le néolibéralisme s’est lui-même placé. Le protectionnisme et la régulation sont soudainement à nouveau des thèmes de dicussion acceptables, même dans le monde financier américain. La régulation devra stabiliser la folie du système. Pas un mot sur la redistribution des richesses bien entendu. Dans ce cas également le mouvement ouvrier ne peut compter que sur lui-même afin d'imposer une autre solution, une autre issue à la crise capitaliste.

Briser les dogmes néolibéraux

La situation actuelle peut se résumer ainsi; ceux d’en haut ne sont provisoirement plus en état de remettre de l'ordre dans leur système tandis que ceux d'en bas doivent être prêts à proposer et imposer autre chose. En Belgique, la gauche anticapitaliste n’a malgré tout pas dans l'immédoat un boulevard qui s'ouvre devant elle. Mais, ailleurs, comme en France avec le « Nouveau parti anticapitaliste » lancé par la LCR, il y a tout de même quelques perspectives d’espoir.

Il n’y a pas d'autre voie; la gauche anticapitaliste doit utiliser cette crise (bien méritée) du néolibéralisme pour créer des brèches dans la pensée unique. Il est temps par exemple de tordre définitivement le cou à la fable selon laquelle l’augmentation des salaires menace la position concurrencielle des entreprises et l’emploi. Elle menace seulement les gains et dividendes que les actionnaires et les rentiers se mettent dans la poche, des sommes colossales qu'il serait plus utile de réinvestir pour la création d’emplois. Les revendications pour une augmentation généralisée des revenus et pour une redistribution des richesses sont donc pleinement légitimes. Conclusion; tout le monde sur le pont pour un automne chaud!

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