Huit années de Verhofstadt
Par M. Lievens le Mardi, 26 Juin 2007 PDF Imprimer Envoyer

Verhofstadt a mené une politique néolibérale beaucoup plus modérée que ce qu'on pouvait attendre sur base de ses déclarations des années '80 et du début des années '90. Si l'orientation néolibérale a clairement marqué les deux dernières législatures, comparé aux plans Harz de Schröder en Allemagne, à la politique de Blair au Royaume-Uni ou aux annonces violentes de Sarkozy en France, il existe une différence de degré. C'est ce qui risque de changer radicalement avec le résultat issu du scrutin du 10 juin : une droite pure et dure qui gouverne et qui mène frontalement la casse sociale.

Cette "modération" des législatures précédente explique en partie que les processus de recomposition politique les plus importants se sont déroulés à droite et non à gauche; la bourgeoisie voulant disposer d'un instrument fiable: la formation du MR en 2002, les discussions sur la " Forza Flandria ", le fait que le Vlaams Belang exerce toujours plus d’attraction auprès des patrons, le phénomène récent de Dedecker, etc.

Fédéralisme néolibéral

Frank Vandenbroucke et Johan Vandelanotte ont senti plus que tout autre que la politique de contre-réforme néolibérale allait moins vite qu'ils ne l'avaient espéré. Ils ont rédigé en 2004 deux lettres ouvertes appelant à des mesures énergiques. Le même Vandenbroucke a également surpris en allant très loin dans son paidoyer pour le régionalisation d'un certain nombre de compétences socio-économiques. C’est que la difficulté pour réaliser une politique néolibérale forte (mais aussi pour organiser la contre-résistance!) découle en partie de la structure complexe de l'État belge.

Il est remarquable que quasiment tous les arguments pour une régionalisation plus poussée sont techniques et non politiques: il faut des paquets de compétences homogènes, les instruments pour mener une politique socio-économique doivent être adaptés au contexte régional, etc. Ce que veut la bourgeoisie flamande, ce n'est pas la reconnaissance de droits nationaux, mais un appareil d'État qui puisse mener la politique néolibérale plus efficacement qu'aujourd'hui. La structure de l'État belge est donc un lourd obstacle pour la (les) classe(s) dominante(s). La formation des exécutifs se déroule laborieusement, ces gouvernements se composent de toute une série de partis (six pour Verhofstadt I, quatre pour Verhofstadt II). La répartition des compétences entre les gouvernements fédéral et régionaux est pénible. La structure de l'État génère inévitablement des phénomènes de crise, comme Verhofstadt en a connu plusieurs: les vols de nuit et DHL, la scission de B-H-V.

Pas étonnant que la bourgeoisie flamande soit à la recherche de plus de stabilité et d'unité au niveau flamand. Le fait que Verhofstadt n'a pas accomplis toutes les grandes transformations socio-économiques néolibérales fait que le CD&V peut aujourd'hui se targuer d'avoir, lui, mené la " politique de relance" des années '80 et '90. Ce sont les gouvernements avec le CVP (de l'époque) qui ont le plus durement frappé le monde du travail. La dévaluation, la modération salariale, les sauts d'index, ont poussé la part des salaires dans le revenu national vers le bas. Ainsi ont été jetées les bases des bénéfices actuels des entreprises qui sont essentiellement offerts comme dividendes aux actionnaires; autrement dit une redistribution inversée du travail vers le capital. La baisse constante de la part du travail dans le revenu national s'est ralentie à la fin des années '90 et depuis l'arrivée au pouvoir de Verhofstadt cette part est restée plus ou moins constante. Ainsi, concernant la politique salariale, il a rigoureusement suivi la loi sur la compétitivité telle qu'elle avait été mise en place sous Dehaene.

Etat social actif

Une des rares étapes, importante surtout sur le plan idéologique, que les gouvernements Verhofstadt ont pu réaliser, c'est la mise en œuvre de " l'État social actif". Un certain nombre des mouvements de luttes syndicaux les plus importants - et il faut le dire, ils furent encore prudents - furent menés contre les mesures dites " d'activation " :

  • l'activation des chômeurs de Frank Vandenbroucke, qui a rencontré une certaine résistance contre cette politique de " chasse aux chômeurs ".
  • Le plus important mouvement de lutte pendant les gouvernements Verhofstadt fut évidemment celui contre le pacte des générations. Malgré ses limites, l'ampleur de ce mouvement a été remarquable. Il a dépassé dans une large mesure les travailleurs qui sont plus ou moins directement touchés par le démantèlement des prépensions. La protestation exprimait aussi un mécontentement plus général contre la politique néolibérale, qui allait plus loin que les mesures concrètes du pacte des générations.
  • Un instrument important dont les gouvernements Verhofstadt ont fait largement usage, mais contre lequel il y eu peu de résistance, c'est la réduction des charges. Verhofstadt a fait baisser les contributions patronales à la sécurité sociale d'environ 5 milliards d'euros par an ros). En même temps les gouvernements Verhofstadt ont montré leur côté le plus " social-libéral " en augmentant (beaucoup trop peu et trop tard) certaines allocations.
  • Verhofstadt a lancé les titres-services qui régularisent le travail au noir, mais par leur succès ils ont surtout boosté le travail précaire.

Cette politique d'activation a un impact important en ce qu'elle mine encore plus la stabilité déjà affaiblie de la sécurité sociale. Dans l'État social actif la sécurité sociale n'est plus considérée comme un ensemble de droits sociaux, qui font partie des droits citoyens. La sécurité sociale est vue au contraire comme un instrument du " marché du travail " qui doit être adapté au contexte où il est appliqué, ce en quoi l'État social actif a donné une énorme impulsion en faveur de la régionalisation de certains secteur de la sécurité sociale. Considée comme un tel instrument, la sécurité sociale devrait être modulée selon le contexte de son application, autrement dit selon des cas différents en Flandre et en Wallonie.

Restructurations et privatisations

Il faut aussi s'attendre à ce que le fonctionnement du marché du travail (la " lexibilité") reste un enjeu important pour les futures restructurations néolibérales, peut-être plus important encore que la poursuite de la modération salariale. Le modèle néolibéral, formaté pour la recherche de profits plus rapides pour les actionnaires, est caractérisé par le phénomène de restructuration permanente des entreprises. Cette dernière n'est plus une mesure exceptionnelle mise en place lorsqu'un secteur économique est "caduc" (comme les charbonnages), mais est devenu un instrument de gestion utilisé en permanence par les entreprises dans leurs stratégies mondiales. Sur se plan on peut s'attendre à une nouvelle offensive dans les années à venir.

En Belgique on fait en effet beaucoup moins usage des contrats flexibles qu'aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Directives européennes "oblige", une politique de privatisations et de libéralisations a été poursuivie de manière soutenue par les deux législatures précédentes. Le partenariat de la Poste avec la Poste danoise, la mise en œuvre Géoroute, qui augmente la pression de travail sur les facteurs. La SNCB a été restructurée avec l'œil sur la libéralisation du marché européen. BIAC a été privatisé. La Sabena a fait faillite, l'État belge a vu ses aides d'État disparaître dans les poches des capitalistes suisses. Le gouvernement Verhofstadt a soutenu - comme tous les gouvernements néolibéraux - d'une manière sélective des entreprises spécifiques; Electrabel par exemple (la soi-disant "pax electrica": on ne touche pas aux bénéfices abusifs), ou les aides ciblées aux entreprises en appliquant des baisses des charges ponctuelles (comme pour le travail en équipes, surtout dans l'industrie automobile).

Ethique et “internationalisme”

Sur le plan des thèmes soi-disant éthiques (euthanasie, homosexuels, …) les gouvernements Verhofstadt ont indéniablement fait des pas en avant. Le néolibéralisme de l'OpenVLD et du MR ne se combine pas avec une sorte de conservatisme réactionnaire à la Thatcher, mais plutôt avec Blair. Sur le plan international les gouvernements Verhofstadt ont mené une véritable politique “libérale-cosmopolite”: une politique des “droits humains”, “d'interventions humanitaires”, de “multilatéralisme”, d'approche diplomatique.

Dans la terminologie de Negri nous pouvons parler d'une vraie logique "impériale", qui tranche avec l'approche impérialiste et unilatérale des USA. Verhofstadt a pris position contre la guerre en Irak, mais a participé à des " missions de paix " dans les Balkans, au Congo, au Liban, en Afghanistan. Les chrétiens-démocrates vantent cette politique étrangère, peut-être en partie pour faire oublier que certains d'entre eux avaient à l'époque plaidé pour une collaboration avec les Etats-Unis en Irak. Les livraisons d'armes à une “démocratie naissante” comme le Népal ont parfois percé le discours. La loi de compétence universelle contre les génocides n'a pas non plus résisté à la pression nord-américaine. Verhofstadt a quand même clairement joué une carte transnationale, et a plaidé à fond pour les États Unis d'Europe. Il a été l'un des plus chauds partisans de la constitution européenne, qui a été approuvée sans consultation populaire.

Le fait que la Belgique soit pleinement liée et intégrée au grand capital international, qu’elle ne possède pas ses propres grandes multinationales, n'est évidemment pas étranger à cette politique “internationaliste”.

Crise blanche

Si Verhofstadt n’a pas répondu à toutes les attentes de la classe dominante, ses deux gouvernements successifs ont malgré tout permis à cette dernière de résorber la véritable crise de régime qu’avait connu le pays en 1999 avec l’affaire Dutroux et la “Crise Blanche”. Les principales institutions de l’Etat bourgeois (les forces de l’ordre et la Justice) étaient totalement discréditées aux yeux des masses, tout comme la classe politique. Ce fut là surtout le rôle et le “mérite historique” du premier gouvernement Verhofstadt dit “arc-en-ciel”; sauver les meubles d’un régime en perdition en “changeant des choses pour que rien de fondamental ne change”.

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