Hausse des prix pétroliers : Un univers impitoyable
Par Ataulfo Riera le Vendredi, 14 Octobre 2005 PDF Imprimer Envoyer

La hausse des prix pétroliers a mis à nu les multiples contradictions politiques, sociales et environnementales dans lesquelles se débat l’actuel système dominant. En Belgique, cette crise s’est traduite sur le plan politique par une saga gouvernementale digne d’une « télénovela » brésilienne. Le patronat en a rajouté une couche et, une fois de plus, ce sont les travailleurs qui payeront doublement la note en termes de pouvoir d’achat et de qualité de vie.

La hausse des produits pétroliers s’est durement répercuté sur le prix du mazout de chauffage. Avec un prix dépassant les 400 euros pour 500 litres de mazout, l’hiver aurait été plutôt rude pour ceux et celles qui doivent se contenter d’une allocation mensuelle de 600 à 800 euros ou d’un modeste salaire. D’autant plus que cette hausse brutale s’inscrit dans une tendance à long terme; depuis 2002, les prix du mazout de chauffage ont beaucoup plus augmenté que ceux des autres carburants : + 82,7% contre 26 à 44% pour l’essence ou le diesel.

Le couvercle sur la marmite 

A la fin de l’été, afin de calmer la tempête qu’ils sentaient venir, les libéraux avaient initialement proposé une offre démagogique : 75 à 150 euros pour chaque ménage. Devant le tollé suscité par cette misérable mesure, où le PS a eu beau jeu de « représenter les intérêts des petites gens », le gouvernement a dû revoir sa copie. Après moults tractations, c’est une réduction de 17,35 sur la TVA du fuel domestique qui est accordé, ainsi qu’une légère augmentation de 150 à 195 euros de l’intervention du fonds mazout et une bien vague promesse d’un « plan énergie ».  De quoi étouffer de justesse dans l’œuf une grogne sociale qui commençait à s’amplifier et qui s’exprimait à travers des débrayages dans plusieurs entreprises (Sonaca, Caterpillar, FN Herstal, Techspace Aero…), des manifestations et des blocages d’axes routiers.

Au lieu d’organiser cette grogne autour d’un plan d’actions et de revendications, les directions syndicales se sont également empressées de mettre le couvercle sur la marmite afin de ne pas envenimer les négociations sur les fins de carrière. Un calcul étrange puisqu’un tel mouvement aurait pu améliorer les rapports de forces. Mais les bureaucraties syndicales n’apprécient guère les mouvements spontanés à la base, difficilement contrôlable dès qu’ils prennent une certaine ampleur. Ainsi, la FGTB et la CSC ont salué les mesures gouvernementales comme « allant dans le bon sens » tout en se contentant, pour la forme, de pointer du doigts quelques insuffisances.

Loin d’aller « dans le bon sens », les mesures gouvernementales ne répondent en rien à la crise révélée par la hausse des produits pétroliers. Primo, la baisse de la TVA sur le fuel domestique n’est qu’une réduction « one shot », valable jusqu’en décembre 2006 seulement (quid d’un hiver long et rude ?). Ensuite, rien n’est prévu pour les travailleurs qui sont obligés d’utiliser un véhicule pour se rendre au travail et ce alors que depuis 1996 le carburant a été exclu de l’index santé. Enfin, c’est la collectivité qui supportera également l’augmentation du fonds mazout - distribué par les CPAS -  puisqu’il est principalement alimenté par les consommateurs. Loin de prendre des mesures structurelles, on a mis un petit doigt pour colmater la brèche béante de la perte de pouvoir d’achat des travailleurs liée à la hausse généralisée des prix et au quasi-blocage des salaires.

Un gouvernement au service du patronat 

Démontrant - si besoin est - où sont ses préférences et priorités, si les mesures en faveur des travailleurs sont bien maigres, ce n’est pas du tout le cas pour le patronat. Les bénéfices amassés par les multinationales pétrolières sont colossaux : plus de 53 milliards de dollars au premier semestre 2005, soit 42,67 milliards d’euros, et ils dépasseront certainement les 100 milliards à la fin de l’année. Comparée à la même période en 2004, la hausse de ces bénéfices est de 30%. Or, en se limitant à une baisse de la TVA, donc des recettes de l’Etat, on ne touche pas du tout à ces masses de profits qui iront tranquillement engraisser des actionnaires déjà forts repus.

Comble du cynisme, sous prétexte de la « hausse des coûts salariaux liés à l’indexation automatique des salaires », le patronat a tenté de remettre en question l’automaticité de l’indexation des salaires, exigé la sortie du mazout de chauffage hors de l’index santé ainsi qu’une nouvelle réduction des charges patronales. Sur ce dernier point, il a pleinement obtenu satisfaction puisque Reynders a immédiatement envisagé une réduction de 800 à 1,5 milliards d’euros de charges… et ce au moment même où le financement de la Sécu est au cœur de l’actualité. Satisfaction également pour l’organisation patronale des transporteurs puisqu’il aura suffit pour elle de brandir la simple menace d’un blocage de Bruxelles pour obtenir une réduction des charges pendant les « heures non-productives ». Satisfaction enfin pour les distributeurs de mazout de chauffage par rapport au prix unique et à l’étalement du paiement des factures. Une seule manifestation rassemblant à peine plus de 1.000 personnes aura suffit pour que le gouvernement s’empresse de les satisfaire. On aura rarement vu un « mouvement social » aussi efficace. Car on ne peut pas vraiment dire que la même célérité est de mise lorsque, par exemple, plus de 2.000 sans papiers manifestent pour demander la régularisation pour tous. 

Un modèle destructeur 

Le vague projet gouvernemental concernant un « plan énergie »n’est que poudre aux yeux et ne répond absolument pas aux questions de la dépendance énergétique envers les produits pétroliers, à l’organisation des transports, de la mobilité, du modèle de développement, d’organisation du travail et de production actuellement dominant. Et pour cause, s’attaquer sérieusement à ces problèmes reviendrait à remettre en question le capitalisme néolibéral lui-même ! 

Si « les Belges ont une brique dans le ventre », ils ont également une voiture dans l’estomac. Dans ce pays, le  « tout à l’auto » fait des ravages. Depuis 1980, la population a augmenté de 5% mais le nombre de véhicules a quant à lui augmenté de 62%. Il y a actuellement plus de 6 millions de véhicules enregistrés en Belgique, dont 4,8 millions sont des automobiles.

Le patronat exige en effet une main d’œuvre de plus en plus flexible et « mobile », le permis de conduire étant ainsi devenu une condition pratiquement sine qua non pour décrocher un emploi. Dans sa course au profit, le capital réorganise constamment les lieux de production et de travail. Résultat : sur 100 travailleurs qui se rendent au boulot, 73 le font en voiture, et seulement 14 en transports publics (train, tram, bus) ; 7 en vélo et 4 à pied. Les distances parcourues entre le domicile et le lieu de travail ont considérablement augmenté : le nombre total de kilomètres effectués par tous les véhicules était de 48 milliards de Km en 1980, il a pratiquement doublé pour atteindre 93,08 milliards de Km en 2003.

Le modèle néolibéral de production et de distribution (le « just-in-time » impliquant que les stocks des entreprises doivent êtres constamment en circulation) est également la cause principale de l’explosion du transport routier de marchandises. Depuis les années ’70, le réseau routier s’est accru de 50% et le transport de marchandises à été multiplié par 4. Mais la répartition de ce dernier s’est constamment fait au détriment des transports moins polluants : en 1970, le transport routier représentait 63% du total, contre 37% pour le transport par voie ferrée. En 2002, les proportions étaient de 87% pour la route et seulement 13% pour le rail. Le transport fluvial, quant à lui, est passé depuis les années ’70 de 7.100 millions de tonnes/Km à 6.104 millions de tonnes/Km aujourd’hui.

Les travailleurs sont ceux qui supportent les coûts globaux de cette folie : la route coûte à la collectivité quelques 13 milliards d’euros par an. L’ensemble des dépenses consacrées au transport représente 13 à 14% des dépenses totales des ménages, l’automobile à elle seule engloutissant 12% des revenus en 2003. Le coût est également humain : entre 1990 et 2000, le nombre d’accidents corporel sur les routes a augmenté de 58% et le nombre de décès de 17%. Enfin, au niveau environnemental et sanitaire, entre 1970 et 2003, les émissions de CO2 liées au transport routier ont été multiplié par 2,5, elles représentent aujourd’hui 22% des émissions totales. (2) 

Quelles exigences ? 

Il est donc parfaitement justifié d’exiger, face à la perte de pouvoir d’achat des travailleurs, des mesures telles qu’un contrôle strict des prix, la suppression de la TVA pour les besoins de première nécessité (dont le mazout de chauffage) ou encore la réintroduction des carburants dans l’index. Les hausses des prix seraient ainsi annulées, la perte des rentrées fiscales devant être compensée par une ponction équivalente sur les plus-values des multinationales pétrolières. Mais ces mesures de contrôle et de réduction des prix des carburants seraient contre-productives si elles impliquent une hausse de la consommation, elles doivent donc impérativement s’accompagner d’une toute autre politique de consommation énergétique et des transports - en favorisant les transports alternatifs fluviaux et publics et en instaurant la gratuité des transports en commun - en vue d’une réduction drastique du trafic routier professionnel et individuel. Et il s’agit, là aussi, de pénaliser et de mettre à contribution les principaux responsables que sont les multinationales pétrolières, les constructeurs automobiles et le patronat dans son ensemble.

A plus long terme, c’est également une politique énergétique publique, à l’échelle belge et européenne, qu’il faut exiger, notamment au travers de la socialisation sans indemnisation des multinationales et entreprises de ce secteur, sous contrôle des travailleurs. Si une telle demande peut sembler « abstraite » dans nos pays aujourd’hui, tel n’est pas le cas en Amérique latine par exemple, où de nombreuses mobilisations populaires et massives exigent la mise sous contrôle public des richesses en hydrocarbures. Au regard de la menace de destruction environnementale provoquée par l’actuel modèle de développement capitaliste, c’est la seule issue rationnelle. 

(1) Echo-FGTB, septembre 2005. (2) Sources utilisées : Syndicat, mars 2005 / Info-CSC, 9 septembre 2005 / « Comptes de la folie (auto) routière », Institut pour le développement durable, mars-avril 2005 http://users.skynet.be/idd/  / Institut national de statistiques, http://statbel.fgov.be/

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